THYSDRUS

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Article de Boutheina Ayari, Conservateur du Patrimoine à l’INP

Introduction

Thysdrus, l’actuelle ville d’El-Jem, est située au centre-est de la Tunisie, à 180 km au sud de Tunis, à mi-chemin entre Sousse et Sfax, et à environ 25 km à l’ouest de la cote. L’antique Thysdrus ou Thysdritania colonia, célèbre pour son amphithéâtre, l’un des plus grands de l’empire romain (entre 27 000 et 30 000 spectateurs) après le Colisée de Rome (45 000 spectateurs) et celui de Capoue.

Thysdrus commandait un des passages les plus importants de l’axe routier nord-sud et des voies d’accès de la côte et l’intérieur du pays. Le caractère monumental de sa parure urbaine est aussi évident à travers la découverte des somptueuses demeures richement pavées de tableaux de mosaïques somptueux et ornées par des statues et d’éléments d’architecture.

Son amphithéâtre accueille le Festival international de musique symphonique d’El Jem chaque été depuis 1985.

Historique

Epoque punique

Nos connaissances concernant les débuts de la ville antique restent lacunaires. Les trouvailles archéologiques remontant à cette époque se réduisent à une nécropole située à l’Est du noyau ancien de la ville qui abrite des tombes puniques.

Période romaine

La première mention de la ville remonte au Ier siècle avant J.-C., lorsque César débarqua pour combattre les partisans de Pompée. Entre la fin du Ier siècle avant J.-C. et le début du Ier siècle après J.-C., Thysdrus fut, d’après Pline l’Ancien, un oppidum liberum, soit l’une des trente villes libres conservant son territoire et son organisation politique.

Durant le premier siècle, et notamment sous les julio-claudiens et les flaviens, on assiste à une extension de la cité par des travaux d’urbanisme et d’adductions d’eau. A une date inconnue du IIème ou du IIIème siècles, la ville fut promue au rang de municipe puis à celui de colonie honoraire. C’est durant ces deux siècles que remonte la construction des principaux monuments de la ville.

Période chrétienne

Pour la ville chrétienne, on est très mal renseigné. Nos connaissances se limitent à quelques épitaphes et des restes d’une chapelle non visible maintenant, des fragments de sarcophage. Les sources ecclesiastiques signalent aussi des évêques représentant les communautés chrétiennes aux principaux conciles jusqu’en 646.

Il est à noter que les lampes chrétiennes et les carreaux de terre cuites trouvés à   El Jem et de sa région se distinguent et forment une catégorie à part.

Période vandale et byzantine

Les époques vandales et byzantine sont encore moins bien connues, la ville semble être rétrécie et le grand amphithéâtre semble avoir été transformé en une forteresse à l’époque byzantine.

Période islamique

La cité finit par disparaître complètement, seul l’amphithéâtre continue à être mentionné par les historiens arabes notamment lorsque la Kahena s’y réfugie pour résister aux conquérants musulmans : le monument prend alors l’appellation de « Chateau-fort de la Kahena ». Plus tard, au XIIIe siècle se formera une petite agglomération autour de cet important édifice.

Les monuments

Les monuments publics :

Le grand temple, le monument du culte impérial, le forum, le grand amphithéâtre, les thermes, le cirque, l’aqueduc et la basilique chrétienne constituent les principaux monuments publics connus de Thysdrus.

Plan schématique de situation de la ville de Thysdrus, d’après un plan ancien établi par le service archéologique d’El-Jem.[1]

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Plan schématique de situation de la ville de Thysdrus, d’après un plan ancien établi par le service archéologique d’El-Jem.

Le grand amphithéâtre :

Situé au nord de la ville antique, inscrit sur la liste du patrimoine mondial depuis le 26 Octobre 1979, l’amphithéâtre d’El Jem est l’un des rares monuments du genre et l’unique en Afrique à être bâti, non pas à flanc de coteau, mais en terrain plat appuyé sur un système complexe de voûtes. Son originalité réside aussi de fait d’être construit entièrement avec des pierres de taille, de 50 cm de hauteur. Ses bâtisseurs ont choisi d’utiliser la coudée punique en pleine époque romaine. Le monument a conservé, sans altérations, la plupart de ses composantes architecturales et architectoniques.

De forme elliptique, Il mesure au total 147,90 m sur 122,20 m où pouvaient prendre place 35 000 spectateurs. Il se compose de deux parties principales, la cavea et l’arena.

Son arène de 64,50 m sur 38,80 m, est délimitée par un mur de podium haut de 3,50 m. revêtu de dalles de marbre avec des chapiteaux d’applique et des éléments d’entablement, Dans la partie centrale de l’espace, une grande ouverture procurait l’air et la lumière aux souterrains.

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Photo de AMVPPC

La cavea est divisée en trois compartiments séparés et desservies par des escaliers. Le podium, réservé aux personnages de marque.

Plusieurs blocs en marbre de la cavea portent des marques sous forme de lettres qui servaient à désigner les places réservées aux notables.

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Ville romaine de Thysdrus, aquarelle de J.-Cl. Golvin

Le cirque :

Ce monument situé dans la périphérie nord-ouest de la ville antique, est construit dans la seconde moitié du IIème siècle ou la première moitié du IIIème. Il mesure 516 mètres de long sur 112 mètres de large ; ce qui lui classe parmi les plus importants cirques romains en Afrique proconsulaire.

La basilique chrétienne :

Elle est implantée à l’ouest de la ville, aujourd’hui complètement disparu sous les constructions modernes. Son existence n’est attestée que par le grand nombre de carreaux en terre cuite et des éléments d’architectures.

Le grand temple :

Ce monument, se trouve au centre de la ville antique en mauvais état de conservation. Les premiers indices de l ‘existence de ce temple datent de la fin de la république romaine où on a découvert quelques fragments d’une corniche. D‘autres éléments architecturaux provenant du temple dont une frise en grès et un chapiteau en marbre blanc découvert sur le podium du monument datent de la période Augustéenne.

Le monument dit de culte impérial :

De même orientation que le grand temple (Est), il se trouve au nord de ce dernier et couvre une superficie de 1580 m2. Sa dédicace fut ordonnée par décret des décurions et exécutée avec de l’argent public, en hommage à Domitia Aurelia Faustina fille de Marc Aurèle.

Le forum :

 C’est une immense place publique implantée en plein cœur de la cité antique dans le noyau urbain ancien, actuel secteur dit de « Bor Zid ». De forme rectangulaire, avec une superficie de 7500 m2 (100 m pour la longueur, 75 m pour la largeur et 125 m pour la diagonale) il a été bâti sur des structures de constructions préromaines et se place comme le plus grand forum des cités romaines de la proconsulaire. Cette place n’a conservé que quelques fragments de fûts de colonnes en marbre et quelques bases du portique. Cette place est flanquée par d’autres monuments romains tels que le grand temple et le temple de culte impérial.

Les thermes :

Trois établissements de bains d’importances inégales sont connus. Le premier, couvrant une superficie de 2 400 m2, remonte à l’époque Antonine et il est pavé de belles mosaïques. Les deux autres beaucoup plus modestes, sont plus tardifs et destinés à l’usage de quartiers ou peut être de sodalités tels que les Telegenii ou les Pentasii dont les symboles figurent sur les pavements de l’un et de l’autre de ces bains.

Les Domus

Thysdrus est surtout célèbre par les somptueuses maisons de sa bourgeoisie, installées dans les quartiers périphériques et ayant des superficies allant de 1 200 à 3 000 m2. Le plan général de ces grandes demeures se compose d’un imposant corps principal aménagé autour d’un péristyle agrémenté d’un jardin et un ensemble plus ou moins important d’appartements secondaires et de dépendances de toutes sortes. Certaines maisons comportent de monumentales salles d’apparat à colonnade intérieure (oeci) dont la superficie peut dépasser les 200 m2. Plaques de marbre et fresques recouvrent les murs des pièces les plus nobles dont les sols sont pavés de mosaïques d’une très grande finesse d’exécution.

 Les premières phases de ces habitations, comme les autres principaux monuments publics de la ville, remontent aux II-IIIème siècles après J.-C.

Maison Africa :

La Maison d’Africa a été découverte à la suite d’une tentative de construction illicite dans les années 1990. Les fouilles engagées à l’époque ont permis de mettre au jour une somptueuse demeure qui tire son appellation d’un tableau en mosaïque figurant la déesse Africa.

Cette vaste demeure aristocratique a livré de nombreuses œuvres d‘art. Des tableaux de mosaïques uniques en leur genre dans le répertoire africain. Deux de ces mosaïques sont uniques dans tout le répertoire africain (la mosaïque d’Africa et La mosaïque de Rome et ses provinces) et n’ont pratiquement pas d’équivalent dans le monde romain.

Ces deux mosaïques ont acquis une grande célébrité tant en Tunisie qu’à l’étranger où elles ont été présentées dans de grandes expositions notamment au Petit Palais à Paris (1994) et au Museo Nazionale di Castel Sant’Angelo à Rome (1997). La mosaïque de Diane provenant aussi de d’El Jem a été exposée au siège de L’UNESCO à Paris. 

Cette villa, considérée parmi les plus vastes maisons d’Afrique romaine (3 000 m2) est datée de la deuxième moitié du IIème s. ap. J.-C et son occupation a continué jusqu’à la fin du IVe siècle, voire jusqu’au début du Ve.

 Aujourd’hui, elle n’est pas présente in situ, mais il s’agit d’une reconstitution plantée près du musée, dans un quartier plus accessible. Cette reconstitution hors site reprend le plan exact de la villa et présente les mosaïques originales dans leurs contextes d’origine reconstitués.

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Thysdrus (El-Jem) – Projet de maison d’Africa

https://jeanclaudegolvin.com/project/afrique-du-nord/afrique-tunisie-el-jem-projet-maison-d-africa-jc-golvin/

 

Maison des masques mortuaires:

Située au centre de la ville non loin du forum, Cette maison est reliée à un atelier de moulage, datable du IIIème siècle ap. J.-C. La fouille a livré un matériel assez abondant comprenant notamment des moules plus ou moins bien conservés d’animaux et de visages humains (Il a été incontestablement tiré à partir du visage d’un homme mort d’où l’appellation d’un masque mortuaire).

La maison des dauphins : 

c’est une maison qui se caractérise par sa grande superficie et le nombre très élevé de ses pièces. Son entrée majestueuse dessert sur un couloir / vestibule orné de niches décorées de mosaïques, et flanqué de deux pièces ouvrantes elle aussi sur un autre couloir. A partir de ce dernier, on accède à un une large cour entourée de pièces de dimensions différentes et donnant aussi accès à deux autres couloirs qui nous desserve à un imposant péristyles encadrant un vaste

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Source : CMT, plans 5-6

La maison de la procession dionysiaque :

Elle est construite à la périphérie de la ville dans le quartier sud-ouest et tire son nom des thèmes dionysiaques puisqu’elle a fourni les meilleurs témoignages de ces représentations. L. Foucher[2] a montré que l’ordonnance de la villa pouvait correspondre aux besoins d’une confrérie dionysiaque. La porte principale donne sur un grand vestibule pavé de mosaïque, un second vestibule, perpendiculaire au premier et séparé de celui-ci par apport au seuil, la cour de la maison occupée par un viridarium est entourée par quatre galeries séparées entre elle par une murette.

Maison de Silène à l’âne :

Implantée dans le quartier central de Thysdrus, cette maison a livrée de beaux tableaux de mosaïques puisque la plupart de ses pièces sont ornées de mosaïques polychromes à motifs figurés qui comptent parmi les plus belles d’El Jem. L’une d’elles, qui a donné son nom à la maison, représente un silène complètement ivre se faisant transporter vers un âne. Un grand nombre de plaques en marbre et des peintures murales (tableaux de fresques) et plusieurs fragments de stuc peint ont été trouvés lors de la fouille.

La maison du Paon :

C’est une maison découverte en 1960 et couvre une superficie d’environ XXX m2. Elle se distingue par ses annexes :  quatre appartements secondaires qui servent comme lieux de détente et de refuge à la vie familiale. C’est généralement à l’intérieur de ces espaces qu’on trouve les cubicula (chambres à coucher).  Un accès unique donne sur un premier vestibule ouvrant sur toute sa largeur sur un long couloir desservant plusieurs pièces. Ce premier vestibule donne accès au premier appartement puis à un deuxième vestibule plus important que le premier et qui mène au grand péristyle.

La maison de la Sollertiana:

la maison tire son nom d’une inscription figurant sur la mosaïque de l’antichambre : « maison de Sollertius qui a toujours vécu heureux avec les siens. »

D’une superficie de 1120 m2, elle présente un plan irrégulier, présentant un avant corps de boutiques de part et d’autre des entrées, puis un vestibule desservant des chambres et donnant accès à un vaste péristyle encadrant un viridarium et entouré de pièces. Communiquant avec cette demeure principale, un appartement agrémenté d’un portique bordant sur deux cotés un jardin

Maison dite du portrait de Lucius Verus :

Elle se distingue par ses proportions immenses qui couvrent un quart d’hectare au sein du noyau urbain et par sa situation au centre de la cité dans le voisinage immédiat du monument de culte impérial et du grand temple, et ouvrant sur l’immense place publique. Elle est aussi particulière par la richesse et l’originalité de son décor : toutes ses pièces et galeries sont couvertes de mosaïques ornées de divers motifs. Elle dispose d’équipements sophistiqués : pièces chauffées, conduites d’eau sous pression en plomb, latrines privées et thermes dans son voisinage immédiat.

Cette maison a livré de nombreux éléments architecturaux finement exécutés dans du marbre d’importation de différentes couleurs et notamment le marbre de Proconnèse. Elle regroupe au moins deux phases d’occupations. La première phase date de la fin du Ier siècle av. J.-C. ou le début du I er siècle ap. J.-C. comme le montrent deux chapiteaux en grès dunaire datables des dernières décennies du Ier s. av. J.-C., et la deuxième daterait de la fin du IIème et du début du IIIème s. ap. J.-C.

Le musée

Il se situe à la sortie de la ville pas loin du petit amphithéâtre Il a été inauguré en 1970 et rénové en 2002. Il est constitué d’un péristyle et de plusieurs salles qui s’organisent autour d’une cour intérieure, s’inspirant des maisons romaines.

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Photo AMVPPC

A travers ce musée, le visiteur peut admirer une riche collection de tableaux de mosaïque provenant de plusieurs monuments de l’antique Thysdrus.

Il abrite des objets sculptures et tableaux en mosaïque, qui comptent parmi les plus beaux de l’Antiquité romaine dont le pavement de « la procession dionysiaque » « le couronnement de Dionysos en présence d’un Silène ivre » la mosaïque de «Silène ivre »  la mosaïque d’«Orphée »  le pavement des «Muses » et  celui de « l’échec à l’envieux » sont parmi les plus célèbres de cette collection.

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Photo de AMVPPC

Le quartier des villas romaines

Le musée donne accès à un « parc archéologique » comprenant les vestiges de trois villas, la maison du paon, l’une des plus importantes villas du quartier sud-est de la ville, la maison des dauphins et la Sollertiana domus qui a livré la mosaïque de la « damnatio ad bestias » figurant des esclaves au teint clair, probablement des prisonniers germains achetés pour être livrés aux bêtes. A côté de ces domus, la somptueuse maison dite d’Africa. Découverte dans les années 1990, est constituée d’une grande demeure ainsi que d’un ensemble thermal sur une superficie de 3 000 m². C’est une reconstitution d’une partie de la demeure, réalisée sur l’emplacement d’une ancienne nécropole.

Bibliographie

  • Corpus des mosaïques de Tunisie. Vol. III, Thysdrus (El Jem).
  • Mrabet Abdellatif. Thysdrus / el jem site monuments et parc archeologique ,édition contraste ,1 janvier 2022 .
  • Slim Hedi .El Jem : l’antique Thysdrus , 1996 , Tunis : ALIF, Les Editions de la Méditerranée.
  • Hedi Slim. « Les amphithéâtres d’El-Jem. » dans Comptes Rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 130ᵉ année, N. 3, 1986. pp. 440-469.
  • Slim Hedi. “El Jem Thysdrus” , Encyclopédie berbère
  • Slim Hedi. « Les amphithéâtres d’El-Jem ». dans Comptes Rendus des Séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 130ᵉ année, N. 3, 1986. pp. 440-469.
  • Slim Hédi. « La maison dite du portrait de Lucius Verus à El Jem ». dans Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France, 1990, 1992. pp. 87-88.
  • Hager Krimi. « Thysdrus la cité romaine : organisation urbaine, stratégie économique et prospérité sociale », dans Villes et archéologie urbaine au Maghreb et en Méditerranée. Actes du VIIème Colloque International du Département d’Archéologie – Université de Kairouan, année p. 51.
  • Yvon Thébert. Thermes romains d’Afrique du nord et leur contexte méditerranéen. EFR, année 2003, p.  129-187.
  • Ben jerbania, Imed, « Céramique pré-impériale de Thysdrus (El-Jem, Tunisie) », dans Antiquités Africaines, 44, 2008, p.25.

           

[1] BEN JERBANIA, Imed, 2008, « Céramique pré-impériale de Thysdrus (El-Jem, Tunisie) », Antiquités Africaines, 44, p.25.

[2] L. Foucher. La Maison de la procession dionysiaque à El-Jem, Edition  Presses universitaires de France. Paris – 1963.

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Ali DABBAGHI
Ali DABBAGHI

Ingénieur Général spécialiste des systèmes d'information et de communication, مهندس عام في نظم المعلومات والاتصالات General Engineer information and communication systems

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